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AUBERT DE LA CHESNAYE, CHARLES, marchand, trafiquant de fourrures, financier, principal homme d’affaires de la Nouvelle-France au xviie siècle, seigneur et membre du Conseil souverain, né à Amiens le 12 février 1632, décédé à Québec le 20 septembre 1702. Il fut anobli par Louis XIV le 24 mars 1693.

Il était le fils de Jacques Aubert et de Marie Goupy (ou Goupil). Dans les contrats de mariage et les lettres de noblesse de La Chesnaye, il est indiqué soit que son père était « controlleur », soit qu’il était « intendant des fortifications de la ville et citadelle d’Amiens ». Mais dans l’acte de naissance de sa sœur Anne, daté de 1629, il est dit simplement que le père était « m[archan]d peintre de Paris ». Il est possible que ce dernier soit devenu ultérieurement intendant des fortifications, car il semble que la famille ait eu des relations influentes dans le monde. Un fils et une fille du duc de Chaulnes, gouverneur militaire de Picardie, servaient de parrain et marraine à Anne, et Charles avait pour parrain Charles Parmentier, le maître d’hôtel du duc. Dans un acte notarié de 1695, on mentionne Louis, un second fils, qui habitait Anvers où il s’occupait des affaires des princes d’Uzel et de Bruxelles.

On ne sait ni comment ni quand La Chesnaye acquit sa fortune, et il ne semble pas qu’il la doive à un héritage. Dans le testament qu’il rédigea en août 1702, il décrit simplement ses parents comme étant « d’honnêtes gens » et lui-même comme « tout pauvre », quand il arriva au Canada en 1655 en tant que représentant d’un groupe de marchands de Rouen. Cet emploi lui a sans doute été un avantage considérable au début de sa carrière. En 1660, ces marchands rouennais et un c,ertain Toussaint Guénet, financier français, signèrent un important contrat avec René Robinau* de Bécancour, qui représentait la colonie. L’accord donnait au syndicat financier de Guénet les droits exclusifs sur les importations canadiennes, moyennant une redevance annuelle de 10 000# et le droit de percevoir les taxes de 25 et de 10 p. cent sur les peaux de castor et les peaux d’orignal, moyennant un montant supplémentaire de 50 000. Les habitants trouvèrent ces conditions par trop généreuses et parvinrent, en mars 1662, à faire résilier le contrat par le Conseil royal. La Chesnaye avait toutefois aidé à diriger, pendant deux ans, une très grosse entreprise, et il est fort possible que ce soit au cours de cette période qu’il se lança lui-même en affaires.

Peu de temps après l’annulation du contrat, La Chesnaye réalisa sa première opération commerciale d’importance. En octobre 1663, le Conseil souverain tint une adjudication publique pour affermer le monopole de Tadoussac sur la traite des fourrures et les taxes sur les peaux de castor et les peaux d’orignal. Le premier jour, plusieurs personnes se présentèrent mais il ne resta bientôt que deux enchérisseurs : La Chesnaye et Claude Charron*. La lutte devint alors très serrée. Chacun d’eux surenchérit et le prix offert pour le bail passa graduellement de 38 000 à 46 000#, somme qu’offrit Charron le matin du quatrième jour. Dans l’après-midi, comme il était d’usage, trois chandelles furent allumées pour indiquer que les enchères allaient prendre fin ; mais avant que la troisième ne s’éteignît, La Chesnaye était parvenu à enlever l’affaire à son rival par une dernière enchère se montant à 46 500# Le bail était de trois ans et, au début de chaque année, il fallait verser un acompte de 15 000#.

En dehors du commerce des peaux de castor, La Chesnaye avait de gros intérêts financiers dans d’autres entreprises. À Québec, il possédait un grand entrepôt où il conservait une réserve de marchandises évaluées à quelque 50 000#. En novembre 1664, les syndics des habitants l’accusèrent, ainsi que d’autres commerçants, d’avoir vendu ses marchandises à des prix supérieurs aux prix établis par le conseil au mois de juin précédent. En réponse à cette accusation, La Chesnaye reconnut qu’il avait vendu des chaussures à un prix dépassant le tarif imposé, mais il pensait, prétendit-il, que le prix fixé s’appliquait seulement aux marchands forains et non à ceux qui habitaient la colonie. Il fit également remarquer que les habitants payaient leurs achats avec des peaux de castor, dont la valeur était restée ferme au Canada, mais avait énormément baissé en France. Dans de telles circonstances, s’il avait appliqué le tarif imposé, il eût subi de grosses pertes financières. Le conseil ne se laissa nullement impressionner par ces arguments et imposa des amendes aux marchands reconnus coupables. Ce n’est qu’en 1670, à la suite de constantes réclamations de La Chesnaye et de ses confrères au sujet de l’effet désastreux qu’avait sur leur commerce le prix élevé des peaux de castor, que le conseil établit une nouvelle échelle de prix pour les pelleteries.

Peu après son arrivée dans la colonie, La Chesnaye commença à acheter des terres. En 1659, il acquit, pour 1 000#, 70 arpents sur le coteau Sainte-Geneviève. En raison de sa proximité de Québec, cet endroit était un des lieux les plus propices à l’exploitation agricole. Il acheta aussi, à la basse ville, rue du Sault-au-Matelot, un terrain sur lequel, vers les années 1660, il se fit construire une spacieuse demeure. En 1662, il devint copropriétaire de la seigneurie de Beaupré, en achetant la part d’Olivier Letardif* dans la compagnie fondée en 1638 pour exploiter le grand domaine qui s’étendait de la rivière Montmorency au cap Tourmente. L’évêque, Mgr de Laval, qui était arrivé au Canada en 1659, désirait lui aussi acheter cette pittoresque seigneurie qui comptait déjà de nombreux habitants, et c’est grâce à La Chesnaye qu’il parvint à ses fins. Entre 1662 et 1664, ce dernier, agissant en qualité de procureur de la seigneurie, vendit à l’évêque sa part et celles de plusieurs autres membres de la compagnie. Il ne rompit cependant pas tous les liens qui le rattachaient à Beaupré. En 1668, il obtint du nouveau seigneur un sous-fief qui s’étendait sur 10 arpents en bordure du Saint-Laurent, dans la paroisse de l’Ange-Gardien, et en acheta un autre, un peu plus grand, de Jean-Baptiste Legardeur de Repentigny, qui était situé à Château-Richer.

La traite des fourrures, le commerce des marchandises et l’agriculture furent les trois principales entreprises sur lesquelles La Chesnaye érigea sa fortune. Cependant, dans la colonie, à l’exception de la traite des fourrures, les conditions économiques ne favorisaient guère le développement du commerce. Une population trop peu nombreuse, la guerre contre les Iroquois et le manque de débouchés extérieurs entravaient l’expansion de l’agriculture, et de plus la traite des pelleteries, plus lucrative, attirait hommes et capitaux. En outre la colonie manqua de numéraire jusqu’à ce que l’usage de la monnaie de carte se répandît au cours des années 1690. Ce manque de monnaie et l’état d’appauvrissement dans lequel se trouvaient les habitants obligeaient les marchands de la colonie à vendre à crédit. Ils avaient souvent par la suite les plus grandes difficultés à recouvrer leurs créances. En résumé, La Chesnaye ne connut aucun des avantages dont profita, après 1713, la classe commerçante : le commerce prit alors une autre allure, grâce à une longue période de paix, à l’augmentation de la population, au débouché pour les produits agricoles qu’on écoulait à Louisbourg, et à la création, avec l’aide de l’État, d’industries assez importantes, comme les chantiers navals et les Forges du Saint-Maurice.

En mai 1664, englobé dans le grand projet du roi de réorganiser les colonies, le Canada devint la propriété de la Compagnie des Indes occidentales, nouvellement fondée. La compagnie se vit concéder un monopole de 40 ans pour le commerce du Canada, y compris la traite des fourrures de Tadoussac et les taxes sur les peaux de castor et d’orignal. Peu de temps après, Jean Talon* engagea sa mémorable campagne pour faire restreindre les droits de cette compagnie. Selon lui le monopole décourageait la volonté d’entreprise chez les colons, freinait la croissance du commerce et était, en général, un obstacle au progrès de la colonie. Il proposait comme solution de rendre le commerce libre ou de le mettre entre les mains d’une nouvelle compagnie, formée par lui-même et les principaux colons canadiens.

La Chesnaye, qui était depuis 1666 le représentant de la Compagnie des Indes occidentales, critiqua violemment la proposition de Talon. Il présenta à la cour, en 1667, un mémoire dans lequel il expliquait qu’aucune compagnie ne pouvait remplacer la Compagnie des Indes occidentales, à moins qu’elle n’ait à sa disposition, dès sa mise sur pied, un capital de 1 300 000#. Il calculait que ces fonds, qu’on ne réussirait pas à réunir dans la colonie, seraient nécessaires pour acheter toutes les fourrures invendues et les réserves de marchandises de la Compagnie des Indes occidentales, et pour subvenir aux besoins immédiats de la colonie. Quant à la liberté du commerce, La Chesnaye ne la regardait pas comme une solution pratique, car il ne croyait pas qu’on pût trouver un nombre suffisant de marchands intéressés à traiter avec la colonie pour répondre à ses besoins. Il est possible que La Chesnaye ait fait connaître verbalement ses vues à Colbert, au cours d’un voyage en France en 1665, car l’année suivante le ministre se servit presque des mêmes arguments pour refuser les recommandations de Talon. Toutefois, ce fut la volonté de l’intendant qui finalement l’emporta car, pendant son séjour en France en 1669, il obtint l’abolition du monopole de la Compagnie des Indes occidentales.

En prenant cette position, La Chesnaye avait pensé, sans aucun doute, aux intérêts des gens qui l’employaient, mais il semble aussi qu’il tint compte d’autres considérations. Il est évident que, en sa qualité d’homme d’affaires solidement établi et possédant d’influentes relations, il ne croyait pas que la colonie pût prospérer sans le concours de puissants intérêts financiers. Il avait pu constater, dans les années 1650, les piteux résultats obtenus par la Compagnie des Habitants. Il n’est donc pas surprenant qu’il ait peu prisé les recommandations de Talon, car elles auraient, une fois de plus, livré la colonie aux mains de commerçants sordides et malhonnêtes. De plus, La Chesnaye pensait que, dans cette affaire, l’intendant avait essayé de servir ses intérêts personnels, plutôt que ceux de la colonie. Il affirma, dans un mémoire écrit de nombreuses années après, que Talon avait manœuvré contre le monopole de la Compagnie des Indes occidentales parce qu’il espérait, en le faisant annuler, augmenter son commerce personnel d’articles divers qu’il importait dans la colonie sans frais de transport et d’assurance.

Ce désaccord entre La Chesnaye et Talon ne les empêcha pas, heureusement, de coopérer dans certaines entreprises importantes. En 1670, La Chesnaye se lança dans l’exploitation forestière, un domaine de l’économie canadienne que l’intendant avait l’intention de développer. Deux ans plus tard, Talon luî concéda, conjointement avec Charles Bazire* et Pierre Denys de La Ronde, la seigneurie de Percé, qui devait servir de port d’attache aux bateaux de pêche. La Chesnaye et La Ronde formèrent une compagnie dans laquelle ils investirent respectivement 13 874 et 8 324# Ainsi, sur les principaux intérêts de La Chesnaye, qui comprenaient la traite des fourrures, l’entrepôt de Québec et l’agriculture, vint se greffer toute une ramification d’entreprises secondaires, comme l’exploitation forestière, la pêche et, après 1679, une briqueterie. Pendant une courte période, il s’occupa même d’exploitation minière.

En 1672, La Chesnaye agrandit considérablement le champ de ses opérations en affermant de la Compagnie des Indes occidentales, pour 47 000# par an, les droits qu’elle percevait encore au Canada. Ceux-ci comprenaient surtout le produit des taxes sur les peaux de castor et les peaux d’orignal qui, en 1670, avaient laissé un bénéfice de 70 000#. L’acquisition de ces droits explique probablement pourquoi il décida d’habiter La Rochelle, dont le port de mer était le centre nerveux du commerce entre le Canada et la France. De là, il pourrait s’occuper de la vente de ses fourrures et serait aussi plus près des cercles de la haute finance française. Il chargea Charles Bazire, son associé, de percevoir les taxes au Canada et de gérer ses autres affaires.

De 1672 à son retour au Canada en 1678, La Chesnaye fut une des figures les plus en vue du monde des affaires de La Rochelle, qui était alors une ville très animée. Il inspira rapidement confiance aux autres marchands de la ville, qui l’élirent par deux fois à la cour consulaire, qui rendait jugement dans les causes commerciales. Il était propriétaire, seul ou avec ses associés Jean Grignon, Jean Gitton et Étienne Joulin, de plusieurs navires, jaugeant de 60 à 300 tonneaux, qui sillonnaient les mers entre La Rochelle, Québec, Percé, les Antilles, Amsterdam et Hambourg, avec des cargaisons de fourrures, de poisson et de marchandises variées. C’est ainsi que La Chesnaye profita de son séjour en France pour faire fructifier ses affaires et établir des relations commerciales avec plusieurs pays européens.

En 1674, Louis XIV abolit la Compagnie des Indes occidentales. L’année suivante, pour une redevance annuelle de 350 000#, il céda à un syndicat de financiers français, représenté par Jean Oudiette, et connu sous le nom de Compagnie de la Ferme, plusieurs privilèges commerciaux importants au Canada et dans certaines autres colonies françaises. Au Canada, les droits de la Compagnie de la Ferme comprenaient la traite des fourrures à Tadoussac, les revenus provenant des taxes sur les peaux de castor et les peaux d’orignal et sur les vins et spiritueux entrant dans la colonie. La compagnie possédait, en outre, le droit exclusif de la vente des peaux de castor en France. Elle était cependant obligée d’acheter toutes les peaux de castor apportées à ses magasins, au prix de 4# 10s. la livre pesant. Trois jours après la signature de ce, contrat, Oudiette afferma à La Chesnaye les droits qu’il avait au Canada, contre une redevance annuelle de 119 000#, dont 20 000# devaient être payées à l’avance. Par cette transaction, La Chesnaye s’assurait le monopole du commerce des fourrures de castor au Canada, mais il s’aperçut rapidement qu’il manquait de moyens pour mener à bien une entreprise aussi considérable. La politique d’expansion, prônée par le gouverneur Buade* de Frontenac, faisait que le Canada produisait beaucoup plus de fourrures que le marché français n’en pouvait absorber. La Chesnaye ne pouvait pourtant rien changer à ces circonstances, car les conditions du contrat d’Oudiette l’obligeaient à acheter toutes les peaux de castor qu’on lui apportait. En 1677, peu s’en fallut qu’il ne connût la ruine, ses dettes s’élevant à 1 000 000#. Il fut heureusement tiré de ce mauvais pas par un groupe de puissants financiers, dont Louis Carrel et Hugues Mathé, receveurs généraux des finances des généralités de Paris et de Champagne, qui apportèrent de nouveaux capitaux dans l’entreprise. Les transactions qui suivirent sont loin d’être claires, mais il semble que le nouveau groupe parvint à accaparer plus de 80 p. cent de la Compagnie de la Ferme. La Chesnaye conserva le reste, mais en vendit la plus grande partie pour 43 000# en 1680.

La mort de Charles Bazire, survenue le 15 décembre 1677, obligea La Chesnaye à revenir au Canada pour y régler les réclamations formulées par les héritiers du défunt relatives à certains biens que leur père et La Chesnaye avaient possédés en commun. Les choses étaient compliquées du fait que l’association n’avait été rendue officielle par aucun contrat notarié et que plusieurs opérations, concernant l’association, avaient été enregistrées par Bazire, à son propre nom. Finalement, La Chesnaye offrit aux héritiers un tiers de tous les biens qu’il avait possédés en commun avec Bazire, sous forme de seigneuries, marchandises, rentes et prêts, ou une somme de 130 000#, payable une partie comptant et le solde en marchandises et titres de propriété sur certains des comptes à percevoir. Les héritiers optèrent pour la deuxième solution, sans doute parce qu’elle était la moins compliquée, et abandonnèrent toute revendication sur les autres biens de la société.

Cependant, l’affaire ne se termina pas là. À la suite de la mort de Bazire, les actionnaires français de la Compagnie de la Ferme avaient envoyé un représentant au Canada, qui devait leur rendre compte de l’état de leurs affaires. Cet envoyé, Josias Boisseau*, se querella violemment avec La Chesnaye peu après son arrivée dans la colonie. Selon Boisseau, la dispute avait éclaté parce qu’il avait voulu empêcher La Chesnaye d’escroquer de fortes sommes d’argent à ses associés. Cependant, l’intendant Jacques Duchesneau* et l’auteur anonyme d’un mémoire datant de 1681 presentèrent une version des faits très différente. Ils prétendirent que Boisseau, qui s’était allié à Frontenac, avait impunément bravé les mesures prises par l’intendant et La Chesnaye pour mettre fin à ses agissements, et s’était ramassé une fortune de 50 000# aux dépens de la compagnie. Un document important vient à l’appui de cette version. Il s’agit d’une dépêche adressée à l’évêque, Mgr de Laval, par l’abbé Jean Dudouyt*, procureur du séminaire de Québec à Paris, dans laquelle celui-ci écrit que, si Frontenac n’était pas là pour le protéger, Boisseau serait fort embarrassé de répondre de ses faits et gestes, qui avaient causé de lourdes pertes à la compagnie. Boisseau fut démis de ses fonctions, par ordre du roi, en 1681.

Ces problèmes n’étaient pas les seuls qui retenaient l’attention de La Chesnaye vers la fin des années 1670. À son retour à Québec, il découvrit que les tentatives de Frontenac et de Cavelier* de La Salle pour s’approprier le monopole du commerce des fourrures dans l’Ouest avaient séparé la colonie en deux groupes rivaux. La Chesnaye s’allia aux marchands, qui étaient opposés à ces tentatives qui, si elles avaient réussi, les eussent ruinés irrémédiablement. Il devint un de leurs dirigeants. C’est à lui que revient le mérite de les avoir groupés, en 1682, en une compagnie -la Compagnie du Nord – qui les fit s’intéresser à la baie d’Hudson. En raison de la situation proéminente qu’il occupait parmi eux, La Chesnaye fut bientôt cruellement pris à partie par des membres du camp rival. Dans un mémoire anonyme, daté de 1680, il fut accusé ainsi que ses principaux alliés, Jacques Le Ber, Charles Le Moyne* et Philippe Gaultier* de Comporté, de trafiquer ouvertement avec les Indiens, à l’intérieur des frontières de la colonie. Ils étaient, en outre, accusés de faire la contrebande des fourrures avec les Anglais et d’envoyer de nombreux canots faire la traite dans l’Ouest, en violation des ordonnances royales. Il y avait sans doute dans ces accusations une grande part de vérité, mais il semble que la cour ne s’en soit guère préoccupée. C’était peut-être grâce à l’intervention de Duchesneau qui, dans ses dépêches, défendait énergiquement La Chesnaye. Peut-être le gouvernement se rendait-il tout simplement compte qu’il serait mal avisé et injuste de s’opposer à un homme qui jouait un rôle d’une importance primordiale dans la vie économique de la colonie.

En 1680, le syndicat des financiers qui avait tiré La Chesnaye d’embarras dans l’affaire de la Compagnie de la Ferme jugea que l’exploitation était devenue peu lucrative et en rétrocéda le bail à Jean Oudiette. Le syndicat devait dès lors trouver moyen de se défaire des autres biens qui lui restaient au Canada, et qui comprenaient des marchandises, des fourrures et des sommes d’argent que de nombreux Français et Indiens lui devaient. Le syndicat aurait pu insister pour obtenir le recouvrement de ses créances, mais cela aurait pris du temps et exigé bien des procès. Plutôt que d’avoir recours à un tel procédé, les financiers préférèrent céder les titres de tous leurs biens et créances à La Chesnaye, pour la somme de 410 000#, payable en quatre versements annuels. Cette transaction – dont la valeur est d’environ $1 000 000 en monnaie d’aujourd’hui – marque un tournant dans la carrière de La Chesnaye. Bien que la valeur des créances ne soit pas donnée, elle devait, en raison des risques que comportait leur recouvrement, être beaucoup plus élevée que le prix d’achat. La Chesnaye semble donc avoir engagé la majeure partie de sa fortune dans une spéculation qui pouvait soit lui rapporter d’immenses bénéfices, soit le conduire à la ruine.

Pour garantir les engagements qu’il avait contractés envers le syndicat des financiers, La Chesnaye dut hypothéquer tous ses biens personnels. L’acte notarié dans lequel ceux-ci sont inventoriés est un document important, car il donne une vue d’ensemble sur l’état de sa fortune en 1681. Elle se montait à une valeur totale de 476 000#, se décomposant en cinq catégories principales, soit : 175 000# de comptes à percevoir ; 100 000# de contrats de rente ; 50 000# de marchandises ; 60 000# pour la maison de la rue du Sault-au-Matelot et 66 000# pour les fermes et seigneuries. Plusieurs centaines d’actes notariés, dans lesquels sont enregistrées une grande variété de transactions commerciales, permettent de voir de quelle manière et dans quel esprit La Chesnaye administrait cette fortune. L’image qui se fait jour à travers ces documents n’est pas celle d’un marchand égoïste, uniquement préoccupé de s’enrichir, mais celle d’un homme profondément intéressé au développement économique de la colonie. Contrairement au marchand forain, qui repartait en France avec les bénéfices réalisés dans son commerce au Canada, La Chesnaye plaçait ses gains dans la colonie et prêtait de l’argent aux habitants. Ce sont en grande partie ces méthodes qui, malheureusement, le conduisirent en fin de compte à la ruine ; et c’est sans doute ce qui explique pourquoi si peu de gens suivirent son exemple.

La Chesnaye faisait des affaires avec des gens appartenant à toutes les classes de la société. Il vendait des marchandises à crédit pour des sommes allant de quelques livres à plusieurs milliers de livres. À cause de la disparition de ses livres de comptes, on ne peut savoir quels bénéfices il faisait, mais si l’on en juge par le prix qu’il vendait les chaussures, dans les années 1660, on peut dire qu’il n’y perdait pas un maravédis. Il consentit également plusieurs prêts, en argent sonnant, à des seigneurs et à des habitants, habituellement pour leur permettre de faire des améliorations à leurs propriétés. Le 1er octobre 1666, il prêta à Mgr de Laval une somme de 10 600#, dont celui-ci avait besoin pour respecter une échéance en rapport avec la seigneurie de Beaupré. Le 25 février 1679, il consentit un prêt de 3 000# à un habitant de Beauport, Charles Cadieu de Courville, et un prêt de 4 135# au seigneur Joseph Giffard, pour qu’ils puissent faire réparer leurs bâtiments et en construire de nouveaux. Ces prêts étaient consentis sous forme de contrats de rente, qui ressemblaient beaucoup à nos obligations d’épargne d’aujourd’hui. Ils rapportaient annuellement un intérêt de 5 à 5 1/2 p. cent, mais la date d’échéance du contrat n’était jamais indiquée. Du moment que les intérêts étaient payés, il n’y avait, apparemment, aucun moyen de forcer le débiteur à rembourser le capital. À première vue, ce genre de placement peut sembler ne pas convenir aux besoins d’un commerçant, puisqu’il immobilise une grande partie de ses capitaux. Mais, dans le contexte du long marasme économique qui régna dans la communauté française, de 1630 à 1730 environ, on considérait sans doute comme excellent un placement qui rapportait 5 p. cent d’intérêt.

La Chesnaye avait aussi placé beaucoup d’argent dans des terres. Il acquit ses premiers arpents en 1659, et continua par la suite d’accroître ses propriétés au point qu’il devint, au Canada, le plus gros propriétaire foncier de son époque. Son but, en achetant des fermes et des seigneuries, n’était pas de faire de la spéculation, ni uniquement d’obtenir la considération qui allait de pair avec la possession de vastes terres ; il était avant tout un entrepreneur en colonisation, qui voulait établir une partie de son commerce sur la vente du blé, des pois et des autres denrées essentielles. Il semble que, dès 1685, cette entreprise ait connu un certain succès, car à cette époque il s’acquitta, en partie, d’une dette, en échange d’un chargement de blé d’une valeur de 23 000#. La même année, il assura, avec deux autres marchands, la fourniture d’une réserve de farine qui devait, en cas de disette, servir à secourir la population.

On peut diviser ses seigneuries en deux catégories. Il y avait d’abord celles du genre de Repentigny, de Rivière-du-Loup et de Kamouraska, qu’il avait achetées quand elles n’étaient rien d’autre que des étendues à l’état sauvage, et dont la mise en valeur avait été très coûteuse. Il avait dépensé 35 000# à Rivière-du-Loup et 33 000 à Repentigny, mais la valeur commerciale de chacune de ces seigneuries n’était respectivement que de 18 000 et 16 000#, en 1680. Les seigneuries non défrichées n’avaient apparemment aucune valeur, puisque Kamouraska, qui resta inexploitée jusque dans les années 1690, ne figure pas à l’inventaire de 1681. Venaient ensuite les propriétés situées dans le voisinage de Québec, qui avaient une très grande valeur et rapportaient beaucoup. Dans la seigneurie de Beaupré, l’arrière-fief de Charlesville, concédé à La Chesnaye conjointement avec Charles Bazire en 1677 par Mgr de Laval, avait 16 censitaires et valait 6 000#. Sur le coteau Sainte-Geneviève, une ferme de 70 arpents, entièrement équipée, était en 1680 évaluée à 20 000# et une autre, dans le voisinage, se vendit 9 000# en 1679. Il faut cependant signaler que La Chesnaye ne dirigeait pas lui-même l’exploitation de toutes ces propriétés, mais que certaines, comme Repentigny, étaient louées contre argent comptant, et d’autres, comme Charlesville, étaient confiées à des métayers.

Tandis qu’il négociait sa grande transaction avec la Compagnie de la Ferme, La Chesnaye posait aussi les fondations d’une compagnie de la baie d’Hudson dont le siège serait au Canada, et qui allait devenir la Compagnie du Nord. En France, les autorités approuvèrent la formation de ce groupement commercial qui réussirait peut-être à soustraire à la Hudsons Bay Company, compagnie anglaise, de grandes quantités de peaux de castor de la meilleure qualité. En 1679, Francesco Bellinzani, directeur du commerce français, ménagea une rencontre entre La Chesnaye et Pierre-Esprit Radisson, qui se trouvaient tous deux à Paris. Les deux hommes examinèrent ensemble les moyens de former la compagnie. Ils tombèrent finalement d’accord et décidèrent que, moyennant 25 p. cent des bénéfices, Radisson dirigerait la première expédition commerciale dans la baie d’Hudson. Au Canada, le nouveau gouverneur, Le Febvre* de La Barre, qui avait succédé à Frontenac en 1682, encourageait d’autres marchands à se joindre à l’entreprise, qui disposa en fin de compte d’un capital d’environ 193 000#. La Chesnaye était de loin le plus gros actionnaire, y ayant engagé 90 000#.

La nomination de La Barre au poste de gouverneur avait permis à La Chesnaye d’étendre son activité à un autre domaine. Pendant toute l’administration de Frontenac, les régions des Grands Lacs et de la vallée du Mississipi avaient été sous la coupe de La Salle et interdites aux autres marchands de la colonie. Cependant, La Barre, qui était hostile à La Salle, lui enleva ses postes et mit La Chesnaye et son groupe à la tête du fort Frontenac. Quelques mécontents, groupés autour de l’intendant Jacques de Meulles, interprétèrent ce geste comme une preuve de l’existence d’une association entre le gouverneur et La Chesnaye, et firent un sombre tableau des effets éventuels de cette entente sur la colonie. Ils prétendirent que le gouverneur et son associé avaient plus de 30 canots dans l’Ouest, sous le commandement de Daniel Greysolon Dulhut, et qu’une grande partie de leurs fourrures passaient chez les Anglais. L’intendant de Meulles alla même jusqu’à déclarer que c’était pour protéger ces intérêts commerciaux que La Barre, sur l’avis de La Chesnaye, avait décidé de faire la guerre aux Iroquois. Cette affirmation sera reprise 30 ans plus tard par Gédéon de Catalogne. Dans son Recueil, il affirme que La Barre, afin d’éliminer toute concurrence venant de l’Ouest, avait autorisé les Iroquois à dépouiller les trafiquants qui ne pouvaient montrer un permis signé de sa main, et que le gouverneur s’était lancé dans la guerre après que les Indiens eurent outrepassé ces consignes et attaqué des canots qui appartenaient à La Chesnaye.

Jusqu’à quel point ces accusations étaient-elles fondées ? Des preuves tout à fait impartiales montrent que celles en rapport avec les opérations commerciales de La Chesnaye dans l’Ouest étaient bien fondées. En 1685, les fourrures et les marchandises qu’il avait dans cette région étaient évaluées à 100 000#. La part qu’il prit dans la contrebande avec les Anglais semble établie hors de tout doute, par le permis de traite qui lui fut délivré, en 1684, par le gouvernement de New York. Certaines de ses lettres des années 1680 prouvent qu’il était en relation avec les frères Greysolon Dulhut et Greysolon de La Tourette. Mais on ne peut accepter les déclarations de de Meulles et de Catalogne sur les causes de la guerre. Il semble incroyable, en effet, que La Chesnaye eût, de gaieté de cœur, exposé à la destruction par les Iroquois une colonie pour laquelle il avait tant travaillé et où il avait investi d’énormes capitaux. S’il conseilla à La Barre de faire la guerre aux Cinq-Nations, c’est qu’il devait avoir la certitude qu’une épreuve de force était nécessaire pour impressionner ces Indiens, qui avaient récemment envahi le territoire des Illinois et semblaient sur le point d’entreprendre une guerre générale au Canada.

Il semble que La Chesnaye connut l’apogée de sa carrière en 1682. Les années précédentes avaient été marquées par plusieurs transactions commerciales importantes et par l’expansion qu’avaient prise ses affaires. Ensuite, bien que la courbe descendante ne puisse être établie exactement, le déclin se fit graduellement sentir. La guerre contre les Iroquois et l’incendie qui, en août 1682, ravagea la basse ville de Québec semblent avoir été les principales causes de ce revirement du sort. Les lourdes pertes matérielles subies par la colonie, au cours de la guerre contre les Cinq-Nations, rendirent sans doute très difficile à La Chesnaye le recouvrement, chez les habitants, des créances qu’il avait rachetées de la Compagnie de la Ferme. Quant à l’incendie, il détruisit 55 bâtiments, dont plusieurs entrepôts. Les propriétés de La Chesnaye furent épargnées, mais il prêta à ses concitoyens éprouvés de grosses sommes d’argent pour rebâtir leurs maisons. Il épuisa ainsi Ses réserves d’argent liquide, alors qu’il devait encore 213 000# à la Compagnie de la Ferme, qui le pressait avec acharnement d’en venir à un règlement. Il s’acquitta finalement de sa dette en 1685, en abandonnant à ses créanciers les fourrures et les marchandises qu’il avait dans l’Ouest et qui se montaient à 100 000#, plus un chargement de blé valant 23 000# et sa part dans la Compagnie du Nord, qui était de 90 000#. Jusqu’à cette époque, les liaisons qu’il entretenait avec le commerce dans la baie d’Hudson n’avaient guère été fructueuses. La Compagnie du Nord, doublement affectée par de mauvaises affaires et par la trahison de Radisson, avait eu à déplorer des pertes se montant à 273 426#.

Au cours des dernières années de 1680, il n’y eut cependant aucun changement remarquable dans le rythme des occupations de La Chesnaye. Il revint à la Compagnie du Nord, dans laquelle il avait une part de 22 268# en 1691. Il continua de vendre de grandes quantités de marchandises, à crédit ou par versements échelonnés, et à prêter de l’argent liquide pour financer des projets sérieux. Le 8 octobre 1683, il vendit des marchandises, pour une somme de 12 000#, à René Gaultier* de Varennes. Ces marchandises étaient payables en fourrures, en céréales et en argent comptant, dans un délai de 12 ans. Environ trois mois plus tard, il prêta 13 000# à Étienne Landron et Jean Joly, pour la construction d’une boulangerie. Ces derniers devaient, en retour, lui verser une rente annuelle de 6504. Il continua également d’acquérir des propriétés seigneuriales. Parmi ses importantes acquisitions, entre 1683 et 1688, il y eut Madawaska, sur la rivière Saint-Jean, qui lui fut concédée par La Barre et de Meulles ; Yamaska, sur la rive sud du Saint-Laurent, près de Trois-Rivières, don de Michel Leneuf de La Vallière père ; Saint-Jean-Port-Joli, en aval de Québec, cédée par Noël Langlois, en règlement d’une dette de 1 160#; Le Bic, en aval de Québec également, qu’il obtint de Denys de Vitré, en règlement d’une autre dette de 2 050#. En 1689, Brisay de Denonville et Bochart de Champigny donnèrent à La Chesnaye et à quelques autres marchands la concession de Blanc-Sablon, comprenant une partie de la côte du Labrador et de Terre-Neuve, pour servir de centre de pêche à la baleine et à la morue.

Denis Riverin qui, de 1682 à 1685, avait sous affermé la traite de Tadoussac, se plaignit que les vastes propriétés de La Chesnaye dans le Bas Saint-Laurent portaient un grave préjudice à ses affaires. Il fit savoir que les Indiens, qui traitaient habituellement à Tadoussac, se rendaient maintenant sur l’autre rive du Saint-Laurent, à Rivière-du-Loup et au Bic où La Chesnaye avait installé ses agents. Les fourrures étaient ensuite expédiées par bateau sur la rivière Saint-Jean, qui traverse Madawaska, jusqu’à Port-Royal (Annapolis Royal, N.-É.), où La Chesnaye avait un poste de traite. De là, on pouvait les expédier en France exemptes de droits, car les taxes de 25 et 10 p. cent imposées sur les fourrures canadiennes ne s’appliquaient pas en Acadie. En 1684, la cour émit une ordonnance interdisant aux colons du Bas Saint-Laurent de faire la traite avec les Indiens, mais, l’année suivante, elle revint sur sa décision. Les colons furent alors autorisés à faire la traite avec les Indiens, mais reçurent l’ordre de ne pas empiéter sur le domaine de Tadoussac.

La documentation que l’on possède sur La Chesnaye pour les années 1690, si elle n’indique pas nettement les difficultés financières croissantes, du moins les laisse-t-elle entrevoir. Ses relations avec son associé, Jean Gobin, sont à cet égard des plus révélatrices. En 1690, La Chesnaye, son fils François et Gobin avaient formé une compagnie privée. On ne sait rien de la nature de cette entreprise, mais il est évident qu’elle n’était pas florissante. Les deux Aubert quittèrent l’association en 1699, laissant deux vaisseaux et des marchandises d’une valeur de 102 000# en la possession de Gobin, à la condition qu’il acquittât les dettes de la compagnie dans un délai de deux ans. Certains actes notariés révèlent aussi l’existence d’importantes dettes personnelles. La Chesnaye devait 83 264# à Gobin, à la suite de trois transactions qui remontaient à 1692 et 1694. Il devait également 51 681# à des correspondants européens et à des créanciers canadiens. Pour rembourser cette dernière somme, il avait signé, devant le notaire Louis Chambalon, le 18 avril 1695, huit reconnaissances de dettes distinctes. C’est sans doute en vue de régler les plus criardes qu’il commença à se défaire de ses seigneuries. Celles de l’île Dupas et de Chicot furent vendues pour 15 000#, en 1690 ; Charlesville et Yamaska, pour 6 250# et 3 333# respectivement, en 1694 ; Repentigny pour 15 000#, en 1700.

Malgré ces difficultés financières, l’activité de La Chesnaye ne ralentit pas au cours des années 1690. En 1691, il entra dans une compagnie de pêche, formée par Champigny et, dix ans plus tard, s’engagea à fournir au gouvernement 60 mâts par an, pendant une période de dix ans. Il s’occupait aussi beaucoup de la mise en valeur de ses seigneuries situées en aval de Québec. Entre 1694 et 1700, 27 colons et leurs familles s’établirent à Kamouraska et la valeur de la seigneurie grimpa jusqu’à 12 000# en 1700. Ce fut également au cours des dernières années de sa vie que son prestige dans la colonie atteignit son apogée. En 1693, pour le récompenser d’avoir contribué pendant de si nombreuses années à l’expansion de l’économie canadienne, Louis XIV lui accorda des lettres de noblesse. Deux ans plus tard, il succéda à feu Charles Legardeur* de Tilly comme membre du Conseil souverain de la Nouvelle-France. La charge aurait dû, en fait, revenir à l’un des fils de Tilly, Pierre-Noël, mais celui-ci la céda à La Chesnaye en paiement d’une dette de 6 500#, qu’il était incapable de rembourser. Cette charge dans la magistrature de la colonie et ses lettres de noblesse complétèrent la métamorphose sociale de La Chesnaye qui, de bourgeois, devint gentilhomme.

L’anoblissement ne lui fit toutefois pas perdre tout intérêt dans les entreprises commerciales. La Chesnaye demeura, jusqu’à la fin de sa vie, le chef incontesté de la classe commerçante canadienne. En 1700, il devenait le principal actionnaire de la Compagnie de la Colonie, qui avait affermé la traite des peaux de castor de la Compagnie de la Ferme. Sa mise de fonds dans cette société s’élevait à 25 000#, divisées en 500 actions, sur lesquelles 120 avaient été, par une opération d’écriture, transférées de la Compagnie du Nord à la Compagnie de la Colonie, que cette dernière avait absorbée. Les 380 autres actions avaient été achetées à crédit. En 1700, il alla en France avec Mathieu-François Martin de Lino pour négocier de meilleures conditions avec les banquiers parisiens, Pasquier, Bourlet et Goy, qui étaient les correspondants de la compagnie. Ils réussirent dans leur mission, car les banquiers augmentèrent le montant de leur prêt et réduisirent le taux d’intérêt de 10 p. cent à 8 p. cent. La Chesnaye était de retour au Canada en 1701. Il mourut le 20 septembre de l’année suivante.

Le 26 août, il avait dicté ses dernières volontés. Son testament est très édifiant, car il montre de quelles pensées il était préoccupé, à l’approche de la mort. Dans ce document, il déclare qu’il ne s’était jamais senti très attaché aux choses de ce monde, mais qu’il avait simplement travaillé « avec courage et ardeur » au progrès de la colonie. Il demandait qu’on lui pardonne les mauvaises actions et les injustices, les grandes ainsi que les petites, dont il s’était vraisemblablement rendu coupable durant sa longue carrière, consacrée au commerce, mais il ajoutait qu’il ne se souvenait d’aucune indignité particulière qu’il eût commise « contre Pierre ni contre Jacques ». Il voulait que l’on célèbre à perpétuité une messe quotidienne pour le repos de son âme et de celles de ses amis canadiens, avec qui il avait imaginé certaines combines pour le bien de son commerce. Il ne voulait qu’un service funèbre très simple, avant d’être inhumé au cimetière des pauvres de l’Hôtel-Dieu de Québec. C’était comme si, par ce dernier geste, La Chesnaye espérait se présenter devant le Tout-Puissant dans le même dénuement que les pauvres de la colonie auprès desquels il serait enterré.

La Chesnaye s’était marié trois fois et ses épouses appartenaient toutes trois à d’éminentes familles canadiennes. Le 6 février 1664, il épousa Catherine-Gertrude, qui était âgée de 15 ans et était la fille de Guillaume Couillard* et de Guillemette Hébert*, une fille de Louis Hébert*. Elle mourut la même année, peu après avoir donné naissance à un fils. Marie-Louise Juchereau de La Ferté, sa deuxième femme, était la fille de Jean Juchereau* de La Ferté et de Marie Giffard. Le mariage fut célébré le 10 janvier 1668 et elle mourut à La Rochelle le 7 mars 1678, à l’âge de 26 ans. Le 11 août 1680, La Chesnaye prit pour troisième femme Marie-Angélique, âgée de 19 ans, et fille de Pierre Denys de La Ronde et de Catherine Leneuf. Elle décéda à Québec le 8 novembre 1713. Parmi les 18 enfants issus de ces mariages, 11 atteignirent l’âge adulte. Deux de ses six filles se firent religieuses à l’Hôtel-Dieu de Québec et les quatre autres épousèrent des représentants de la noblesse de robe et de la noblesse d’épée du Canada et de l’île Royale. De ses cinq fils, François, qui devint seigneur de Maur et de Mille-Vaches, semble avoir été le seul qui ait montré quelque penchant pour les affaires ; Charles et Louis* s’engagèrent dans l’armée : le premier en France, où il fut tué entre 1690 et 1693, et le second au Canada, dans les troupes de la marine ; Pierre, connu sous le nom de sieur de Gaspé, l’arrière-grand-père de l’auteur du roman les Anciens Canadiens Philippe-Joseph Aubert* de Gaspé, semble avoir passé sa vie dans ses seigneuries et s’être consacré uniquement à l’agriculture ; quant à l’autre, Louis, sieur Duforillon, seigneur et marchand, il mourut en France probablement en 1720.

Le règlement de la succession se révéla extrêmement complexe et, en 1708, la question dut finalement être portée devant le Conseil supérieur. D’après Claude de Ramezay, son beau-frère, la fortune de La Chesnaye s’était élevée autrefois à 800 000#. À sa mort, ses biens comprenaient : sa maison de Québec, ses seigneuries, des marchandises d’une valeur de 43 000# et approximativement 282 000# en rentes et comptes à percevoir, parmi lesquels il fallut passer 200 000# aux profits et pertes. Le passif se montait à 420 000#. Pour simplifier le règlement de sa succession, La Chesnaye avait, en 1700, fait donation à chacun de ses trois fils, issus de son deuxième mariage, d’une somme de 24 500# en rentes et en propriétés foncières. Cette somme fut portée à 30 000# en 1708, et ce fut alors au tour des créanciers d’essayer de sauver ce qu’ils pouvaient du reste de la succession. En 1709, la vente des dernières seigneuries de La Chesnaye aida à régler certaines dettes, mais il semble que la plupart des réclamations contre la succession n’aient jamais été payées.

La carrière de Charles Aubert de La Chesnaye ressemble de très près à celle d’un bourgeois pieux et austère de la France du xviie siècle. Certains historiens ont fait remarquer que la société, profondément catholique, de l’ancien régime n’approuva jamais entièrement le mode de vie de la bourgeoisie, qui était fondé sur les gains illicites et sur le profit. Les bourgeois, afin de dissiper ces doutes et de se faire accepter, versaient une partie de leur argent en legs et en dons aux églises et aux communautés religieuses. L’exemple de La Chesnaye semble confirmer cette thèse. Il était membre de la congrégation de la Sainte-Vierge et le généreux bienfaiteur d’ordres religieux et d’institutions charitables. Il s’opposait à la vente d’eau-de-vie aux Indiens. Après le grand incendie qui ravagea Québec en 1682, il consentit d’importants prêts d’argent pour aider ses concitoyens à reconstruire leurs foyers.

Dans sa vie privée, La Chesnaye semble avoir pratiqué l’austérité que l’Église encourageait en Nouvelle-France. L’inventaire de ses biens, fait après sa mort, est le document qui éclaire le mieux ce côté de son caractère. Il indique que sa maison, malgré ses dimensions impressionnantes, ne contenait que le strict nécessaire – dans une pièce, de vieilles nappes servaient de rideaux – et que sa garde-robe était des plus sommaires. Il semble qu’il avait coutume de porter une culotte de flanelle grise ou rouge, un pourpoint et une veste de serge, ainsi qu’un vieux chapeau en poil de castor. Sa perruque et ses cinq chemises garnies de dentelle sont le seul luxe qu’il semble s’être permis. L’inventaire donne aussi une idée de ses goûts littéraires. Il possédait 35 livres, qui tous, sauf trois, traitaient de sujets religieux. Dans cette collection se trouvaient les ouvrages de saint François de Sales, figure célèbre du renouveau religieux français du début du xviie siècle.

La Chesnaye, malgré tout, ne s’accommodait pas de son état de bourgeois. Très tôt, comme beaucoup de riches et ambitieux membres du tiers état, il fut fortement attiré vers la noblesse. Bien que né simple roturier, à son nom de Charles Aubert il ajouta bientôt celui de La Chesnaye. Cette soif de faire partie des gens de condition peut aider à comprendre son ardeur à acquérir des seigneuries. Il est douteux qu’il n’ait fait que penser aux bénéfices car, pour mettre ces terres en valeur, il dépensa d’importantes sommes qui, placées dans la traite des fourrures et les pêcheries, lui auraient permis d’en retirer un plus grand bénéfice. Peut-être pensait-il aussi au prestige social que seule confère la possession de beaux domaines.

Le côté religieux du caractère de La Chesnaye et les efforts qu’il déploya pour arriver à faire partie de la noblesse ne doivent pas faire oublier le fait que l’amour du gain a dominé toute sa carrière. Il replaçait systématiquement ses capitaux dans des entreprises qui rapportaient, afin de réaliser toujours plus de bénéfices. Sa maison de la rue du Sault-au-Matelot était le siège d’un pouvoir économique dont les multiples ramifications s’étendaient dans toutes les directions et qui régissait les ressources matérielles de la Nouvelle-France, aussi bien que la vie de nombreux habitants qui avaient hypothéqué leur propriété pour obtenir des prêts d’argent. L’argent, autrement dit, amena la puissance, dont la recherche fut vraisemblablement une des lignes de force de la carrière de La Chesnaye.

Yves F. Zoltvany

Les renseignements concernant la famille Aubert proviennent de la série E des Archives de la Somme, à Amiens. Cette série contient l’acte de naissance de La Chesnaye. Le passage qui traite des années du séjour de La Chesnaye à La Rochelle est établi sur des documents des Archives de la Charente-Maritime, à La Rochelle. Les relations de La Chesnaye avec la Compagnie des Indes occidentales et la Compagnie de la Ferme, de 1672 à 1681, sont, en grande partie, basées sur les documents suivants : AN, G7, 1 312 ; archives de la Charente-Maritime, greffe de Teuleron ; AN, Paris, greffe de Beaudry. La grande transaction de La Chesnaye, en 1681, était inscrite au greffe de Beaudry.

Les AN, Col., C11A, en particulier, consignent plusieurs faits saillants de la vie de La Chesnaye, comme ses relations avec Talon, Frontenac, La Barre et son association avec la Compagnie du Nord.

Les AJQ, qui contiennent plusieurs centaines d’actes notariés concernant une grande variété de transactions commerciales, sont indispensables pour comprendre de quelle manière et dans quel esprit La Chesnaye administrait ses affaires. Aux AQ, les registres de la Prévôté ont consigné de nombreuses poursuites judiciaires, entamées par La Chesnaye et qui avaient généralement pour but de recouvrer des créances. [y. f. z.]

Archives de la Charente-Maritime (La Rochelle), série B, 4 192, 5 672–5 680 ; série E, minutes des notaires Teuleron, Drouyneau, Pénigaud.— Archives de la Somme (Amiens), série E (états civils), registre des baptêmes, mariages et sépultures de la paroisse St-Michel.— AJQ, Greffes de Guillaume Audouart, Romain Becquet, Louis Chambalon, Pierre Duquet, Michel Fillion, François Genaple, Florent de La Cetière, Gilles Rageot.— AJM, Greffe d’Antoine Adhémar.— AN, G7, 1 312 ; Greffe du notaire Louis Beaudry ; Col., B, 16 ; Col., C11A, 2–22, 125 ; Col., F2A, 13 ; Col., F3, 2.-AQ, NF, Registres de la Prév. de Québec ; Registres divers et pièces détachées du Conseil supérieur.— ASQ, mss, C4 ; mss, C17 ; mss, 20 ; Lettres, N ; Registre A.— Coll. de manuscrits relatifs à la N.-F., passim.— Jug. et délib., passim.— Juchereau, Annales (Jamet).— Lettres de noblesse (P.-G. Roy).— Robert Le Blant, Histoire de la Nouvelle-France : les sources narratives du début du XVIIIe siècle et le Recueil de Gédéon de Catalogne (1 vol. paru, Dax, [1948]).— P.-G. Roy, Inv. concessions, passim ; Papier terrier de la Cie des I. O. : 131–136.— Eccles, Canada Under Louis XIV.— Bernard Groethuysen, Origines de lesprit bourgeois en France, I, l’Église et la Bourgeoisie (Paris, 1956).— Gustave Lanctot, History of Canada, I, II.— Robert Mandrou, La France au XXVIIe et XVIIIe siècles (Paris, 1967).— P.-G. Roy, La famille Aubert de Gaspé (Lévis, 1907).— G. Frégault, La Compagnie de la colonie, Revue de luniversité dOttawa, XXX (1960) : 5–29, 127–149.

General Bibliography

Cite This Article

Yves F. Zoltvany, “AUBERT DE LA CHESNAYE, CHARLES,” in Dictionary of Canadian Biography, vol. 2, University of Toronto/Université Laval, 2003–, accessed 18 mars 2024, http://www.biographi.ca/en/bio/aubert_de_la_chesnaye_charles_2E.html.

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Author of Article:   Yves F. Zoltvany
Title of Article:   AUBERT DE LA CHESNAYE, CHARLES
Publication Name:   Dictionary of Canadian Biography, vol. 2
Publisher:   University of Toronto/Université Laval
Year of publication:   1969
Year of revision:   1991
Access Date:   18 mars 2024